Comment présenter la surdité à des élèves de 5 ans ?

Description de la photo. FemmeBionique signe le mot "pluie" en Langue des Signes Française, les 4 enfants l'imitent. Fin de la description de la photo.

SMS de ma sœur : « Clara, la maîtresse de ta nièce de 5 ans a demandé aux parents d’élèves s’ils connaissent des personnes qui parlent une langue étrangère et qui seraient partants pour intervenir en classe. Je t’ai inscrite en mentionnant la Langue des Signes Française ! »

Moi : « Oh génial ! »

Un mois plus tard, me voilà dans la classe de ma nièce en train d’installer le PowerPoint que je leur ai préparé pour l’occasion. Au programme : découverte du handicap de la surdité puis de la Langue des Signes Française (LSF).

Une question me taraude : est-ce qu’à 5 ans ils ont déjà le même stéréotype que celui des adultes ?

Le stéréotype en question ? Celui que la surdité concerne uniquement les personnes âgées.

La présentation commence.

Je demande à la jeune assemblée : « Qui ne voit pas très bien ? ». Des mains se lèvent. « Et comment faites-vous pour mieux voir ? ». Ils me répondent qu’ils portent des lunettes.
Je leur explique alors qu’il existe aussi des personnes qui n’entendent pas bien et qui portent des prothèses auditives pour mieux entendre.

Puis je leur demande s’ils ont déjà rencontré des personnes sourdes ou malentendantes. Plusieurs élèves lèvent la main. Ils me mentionnent un par un la personne sourde ou malentendante qu’ils connaissent : oncle, grand-parents, demi-grand frère (qui a l’air d’avoir 17 ans), ami de leur tante, mère & tantes (pour ma nièce)…

Toutes ces personnes sourdes ou malentendantes sont des adultes et, du haut de leurs 5 ans ce sont de « vieilles » personnes !

Vient alors le moment de leur poser la question fatidique :
« Est-ce que les enfants peuvent être sourds ou malentendants ? »
« Naaaaaaaaaaaan » m’ont-ils répondu en chœur.

Alors effectivement, mon audition n’est pas assez bonne pour bien capter toutes les réponses sorties en même temps, mais j’ai surtout lu sur leurs lèvres des « naaaaaaan » et vu des têtes accompagner ce « non ». Les quelques « oui » restaient très timides face à l’écrasante majorité du « non ».

Il était temps d’abattre ce stéréotype : je leur montre des photos de bébés et d’enfants de leur âge avec des appareils auditifs.
« Ces enfants sont comme vous : ils jouent, se déguisent, vont à l’école et mangent de bons gâteaux avec leurs amis. Pareils que vous, sauf qu’ils n’entendent pas très bien et qu’ils portent des appareils auditifs » ai-je précisé.

Ensuite, je leur ai posé une autre question pour mesurer un 2ème stéréotype : celui de penser que tous les handicaps sont visibles, que si la personne est sourde, on le sait tout de suite.

« Les enfants, et moi, est-ce que je suis sourde ? ». J’ai récolté des regards très surpris, ils ne s’étaient pas posé la question. Les avis étaient si partagés que je leur ai fait faire un vote à main levée. Il y a eu légèrement plus de « non » que de « oui ».

Pour leur donner la bonne réponse, j’ai soulevé mes cheveux pour faire apparaître mon implant cochléaire en leur disant : Oui, je suis sourde et je porte un appareil auditif qui est souvent caché par mes cheveux. Donc ça ne se voit pas toujours que je suis sourde !
(J’avoue que je ne suis pas entrée dans le détail que certains sourds ne portent jamais d’appareils auditifs.)

Et là, silence : ils étaient tous médusés ! Grande découverte, grosse observation. Puis, grand brouhaha.
J’ai attrapé de vieux appareils auditifs, un vieil implant et leur ai dit de se les passer de main en main pour qu’ils puissent les toucher et voir de plus près.

J’avais réussi à faire passer 2 messages importants :
1- la surdité ne concerne pas que les personnes âgées. On peut être sourd ou malentendant à n’importe quel âge ;
2- c’est un handicap qui peut être invisible.

Ces 2 messages, je les fais passer à tout le monde, quel que soit l’âge.
Comme la surdité n’est pas réservée aux personnes âgées, il faut prendre soin de ses oreilles. L’exposition aux bruits forts ou l’écoute de la musique plusieurs heures d’affilées abîment les oreilles, parfois de façon irréversible.

De plus, le handicap auditif touchant les personnes à n’importe quel âge et étant invisible, il engendre vite des quiproquos comme vous pouvez le retrouver dans les différentes brèves de ce blog. Des situations qui peuvent aussi se transformer (très) vite en coup d’épaule style boxe. J’en ai déjà reçu plusieurs, lorsque dans ma bulle silencieuse de la surdité, je ne me pousse pas de la trajectoire de la personne pressée qui a certainement dit « Pardon » à voix haute plusieurs fois.

Voilà pourquoi il me tient à cœur d’intervenir dans les classes de tous les âges afin de faire passer ces messages. Les élèves mettent ainsi un (nouveau) visage sur les mots « handicap » et « sourde ». Nous sommes tou.te.s différent.e.s et en même temps si similaires aux entendant.e.s ou personnes non-handicapées.

Pour revenir à l’intervention avec les petits élèves de 5 ans, j’ai expliqué que les personnes qui n’entendent pas très bien, ont besoin de lire sur les lèvres.
Je leur ai montré que les sons « i » et « a » sont visibles sur les lèvres très distinctement. Les lèvres sont étirées vers les joues pour le son « i » et la bouche est grande ouverte pour le son « a ».
Nous, les sourds et malentendants arrivons mieux à comprendre en regardant les lèvres de la personne qui parle. C’est pour cela qu’il ne faut pas mettre la main devant la bouche quand on parle.

Cette notion n’était pas évidente pour eux et mon temps était limité, je n’ai pas pu approfondir. Cependant elle a intrigué un enfant qui s’est empressé de lever la main pour me poser une question : « Mais alors quand on fait « Atchoum », comment on fait ? On ne met pas la main devant sa bouche ? ».
Grands sourires et regards complices avec la maîtresse et l’ATSEM. Je réponds à l’élève : « C’est une très bonne question. Tu dois quand même mettre ta main devant la bouche quand tu éternues, et quand tu tousses aussi ! C’est seulement quand on parle qu’il ne faut pas mettre sa main devant la bouche. »

Nous arrivons à présent au sujet choisi par la maîtresse : la Langue des Signes Française (LSF).

« Les enfants, nous avons vu que les personnes sourdes ou malentendantes portent des appareils auditifs et lisent sur les lèvres mais parfois elles n’entendent vraiment pas bien ou même pas du tout. Est-ce que vous connaissez ————(là je suis en train de continuer à parler mais sans son, seules mes lèvres bougent !)————»

Les enfants tendaient les oreilles, avançaient leur cou pour se rapprocher de moi et ne bougeaient plus d’un pouce pour essayer de percevoir les sons de ma voix. Il n’y avait plus un seul bruit dans la classe. Peine perdue, je n’émettais vraiment aucun son.
Puis je dis à voix haute : avez-vous compris ce que j’ai dit ?
« Non » me répondent-ils.
Je leur dis « Eh bien voilà, parfois les sourds voient les lèvres bouger mais n’entendent rien du tout, exactement comme ce que vous venez de vivre. Et comme vous, ils ont beaucoup de mal à comprendre. Alors ils utilisent une autre langue (et là je commence à signer tout en continuant à parler). Cette langue se parle avec les mains, on l’appelle la Langue des Signes Française. Est-ce que ça vous dit de l’apprendre ? »
Un « Ouiiiiiii » tout excité retentit dans la classe.
(Pour les connaisseurs, je précise que je leur ai appris le Français signé (FS) et non pas la Langue des Signes Française (LSF). Une brève à venir expliquera la différence pour les néophytes)

C’est parti pour apprendre quelques signes !

La première diapositive montre ma nièce qui donne à manger aux vaches. Je parle tout en signant :
« Oh des vaches ! Un enfant leur donne à manger. Oh mais, est-ce que vous reconnaissez cette petite fille ? » Hilares, les enfants hurlent le prénom de leur camarade de classe.
Puis, tout le monde signe le mot « vache ».

La diapositive suivante montre un chat et un cheval : « Les enfants, devinez de quel animal il s’agit. ». Je signe « chat » sans parler.
Les avis divergent mais la majorité d’entre eux reconnaissent le chat. Je leur explique que le signe évoque les moustaches du chat. À leur tour ils plient leurs doigts, les portent à la commissure des lèvres puis déplient 3 doigts (le pouce, l’index et le majeur).

https://vimeo.com/339172856
3 enfants de 6 et 8 ans signent « chat » en Langue des Signes Française. La petite fille de 2 ans s’amuse à regarder tout le monde signer…bien qu’elle sache les imiter !

Je continue la présentation en leur signant un animal et à eux de trouver ce dont il s’agit. Puis ensemble, on apprenait à reproduire le signe. Ils s’amusaient beaucoup.
Certains arrivaient très rapidement à reproduire le signe, d’autres se faisaient aider par leurs camarades, la maîtresse, l’ATSEM ou moi-même.

Arrivées (si vous pensez qu’il y a une faute grammaticale, lisez cet article) à la vidéo des poules qui picorent le raisin, j’ai cru que je n’allais jamais pouvoir passer à la diapositive suivante !
Une poule saute pour attraper un grain de raisin et ça fait rire tout le monde. À tel point qu’ils m’ont demandé de repasser la vidéo en boucle ! J’en profitais pour leur signer « les poules picorent du raisin » et « la poule saute » et certains signaient avec moi, pendant que d’autres étaient trop occupés à rigoler et imiter la poule !

https://vimeo.com/339181329
La vidéo des poules picorant du raisin qui a tellement plu aux enfants !

Après avoir appris à signer le nom de plusieurs animaux, j’ai mis la version karaoké de la comptine « Petit escargot » en signant les paroles mais sans chanter. Ils avaient juste l’air de la comptine. (Oui oui, je m’étais super bien entraînée pour cette présentation et j’avais bien révisé ma comptine !)

https://vimeo.com/339177623
3 enfants signent le mot « escargot » en langue des signes française.

Ils devaient trouver de quelle comptine il s’agissait. Sachant qu’on avait déjà appris le signe «  escargot » , ils ont fini par reconnaître. Ensuite, nous avons écouté la version avec les paroles et nous avons chanté en signant tous ensemble la comptine.

Rebelote avec la comptine « Une poule sur un mur ». (pour les airs dans la tête toute la journée, c’est ca-deau !) 🙂

FemmeBionique signe le mot "petit" en Langue des Signes Française. Les 4 enfants essaient de reproduire le même signe.
FemmeBionique signant la comptine « Petit escargot » devant des enfants qui l’imitent.

Et voilà, la présentation était finie.
La maîtresse m’a fait une belle surprise en disant à ses élèves « Qu’est-ce qu’on dit à FemmeBionique ? » Ils me signèrent tous « Merciiiiii ». Adorables !

Deux petits garçons se sont empressés de venir à côté de moi et avec leur regard malicieux ils m’ont demandé si je pouvais remettre la vidéo des poules qui picorent le raisin. Ce que je fis. Ils ont éclaté de rire. Je crois qu’ils auraient pu la regarder en boucle toute la journée !

J’avoue que je ne me souviens plus combien de temps exactement cela a duré. 45min ? En tout cas, les enfants étaient captivés, ont beaucoup participé et bien rigolé.
La maîtresse, l’ATSEM et moi, étions nous aussi ravies.
Qui sait, peut-être qu’un jour j’aurai le bonheur de voir un « Pardon » en Langue des Signes Française plutôt que de recevoir un coup d’épaule inattendu par une personne pressée de passer ?

Quelques mois plus tard, je discutais avec la maman d’un élève qui était dans la classe de ma nièce. À ma demande, elle m’avouait que son fils ne racontait pas beaucoup ses journées à l’école et qu’elle n’a su que bien plus tard qu’il avait été initié à la Langue des Signes Française. Malheureusement, elle ne savait pas quels mots nous avions vus et n’avait donc pas vraiment les moyens de relancer son fils à ce propos.
Dorénavant, je propose aux maîtresses de distribuer aux parents une petite plaquette avec quelques signes vus avec leur.s enfant.s afin qu’ils puissent les reproduire à la maison s’ils en ont envie !

Si vous êtes professeur des écoles ou parent d’élève et intéressé par une intervention en classe, n’hésitez pas à me contacter grâce à ce formulaire.